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Comment bâtir une vie culturelle résiliente?

Salles fermées, représentations annulées, billets à rembourser, prestations déplacées en ligne (et organisées parfois avec les moyens du bord) : la pandémie a frappé le secteur culturel de plein fouet. Selon les données de Statistique Canada, au premier trimestre de 2021, le produit intérieur brut (PIB) des arts de la scène était de 62,9 % sous la barre de ce qu’il était avant l’arrivée de la COVID-19. D’aucuns prédisent que les répercussions des confinements sur cette industrie se feront sentir de longues années.

Ironiquement, la pandémie a aussi souligné à quel point les arts sont importants dans notre société. Quelles leçons peut-on tirer de cette crise? Des universitaires ont multiplié les études pour trouver des réponses… et rassurer les artistes.

Les arts sont parfois perçus comme un luxe superflu. Aussi, une inquiétude des professionnels des industries culturelles était de savoir si les gens reviendraient en salle lorsqu’ils y seraient autorisés. Or cette préoccupation s’est avérée infondée : dès la réouverture de ces établissements, en juin 2020, les amateurs se sont empressés d’acheter des billets — et ce, malgré les restrictions sanitaires.

Une hypothèse pour expliquer ce phénomène : la vie culturelle est liée à l’intimité des gens qui y participent. Hervé Guay, professeur au Département de lettres et communication sociale de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), a supervisé une enquête intitulée Publics québécois des arts de la scène : portrait de groupe pendant et après l’épidémie de COVID-19 à Montréal et en région. Grâce à un sondage mené auprès de 2 000 spectateurs et à des groupes de discussion, les chercheurs ont conclu que ces personnes sont très attachées aux rituels qu’elles se construisent grâce aux événements culturels.

« Ces pratiques sont ancrées dans des habitudes, explique Hervé Guay. Ce sont des choses que les gens aiment faire, qu’ils aiment répéter. » Il poursuit : « [Les événements culturels] sont des moments exceptionnels qui rythment la vie et lui donnent un sens. Quand on soustrait ces activités, comme ce fut le cas pendant les confinements, on peut penser que les gens en souffrent d’une certaine manière. »

Cet attachement à la culture fait en sorte que les amateurs ont été enclins à soutenir leurs organismes culturels pendant la crise. « La pandémie a mis en lumière cette idée de communauté de proximité. Ces gens tiennent à ce que la vie culturelle continue ; c’est sur ces personnes qu’il faut compter dans les moments difficiles », indique Hervé Guay. Il cite en exemple les théâtres qui ont demandé à leurs détenteurs de billets de ne pas exiger de remboursement. La campagne, nommée #billetsolidaire, a connu un grand succès, selon lui.

La robustesse des organismes culturels semble bel et bien passer par la connivence que ceux-ci développent avec leur public, confirme l’étude Les effets de la pandémie [de] COVID-19 sur la vitalité culturelle du Quartier des spectacles à Montréal. Cette recherche, menée conjointement par l’organisme à but non lucratif Synapse C et l’Université du Québec à Montréal (UQAM), a montré que le sentiment d’appartenance à la vie culturelle d’un secteur peut favoriser la résilience des organismes qui s’y trouvent.

Les données recueillies révèlent que, paradoxalement, les gens qui vivent autour du Quartier des spectacles voient ce lieu d’un œil très positif, tandis que ceux qui y résident, un peu moins. « Si ce sentiment d’appartenance est faible, les possibilités pour les organismes de survivre à la pandémie s’éloignent un peu », explique Wilfredo Angulo Baudin, stagiaire postdoctoral et responsable de l’étude. « [Lors d’une crise sanitaire,] les acteurs culturels se retrouvent seuls, comme dans un désert, compare-t-il. Il faut construire un sentiment d’appartenance plus fluide entre ce qui se fait sur le plan culturel dans le quartier et ses résidents, parce que ce sont eux qui vont défendre leurs organismes. Ailleurs à Montréal, on a observé un certain dynamisme culturel, et cela est attribuable aux habitants qui se sont impliqués ; c’est quelque chose à bâtir afin que la culture soit plus durable. »

L’accessibilité, la grande oubliée

Avec le concours de l’organisme Culture Outaouais, Julie Bérubé, professeure au Département des sciences administratives de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), a étudié les effets de la pandémie sur les modèles et les pratiques artistiques dans cette région. Surprise : malgré les répercussions dévastatrices de la COVID-19 sur le secteur, certaines retombées positives seraient déjà identifiables.

La crise aurait favorisé l’émergence d’un nouveau public grâce à une meilleure accessibilité. Les arts ont dû sortir de leurs murs et trouver d’autres façons d’être vus et entendus, ce qui aurait contribué à la découverte des artistes. En s’extirpant de leurs réseaux traditionnels, ces derniers ont établi un premier contact avec de nouveaux spectateurs.

« La diffusion de l’art a été beaucoup plus large qu’à l’habitude, indique Julie Bérubé. Il y a eu, bien sûr, des prestations grâce aux technologies numériques, mais aussi des expositions à l’extérieur ou en vitrine. Cela a permis à des gens intimidés à l’idée d’entrer dans une galerie ou une salle de concert de développer leur curiosité par rapport à l’art. » Des retombées positives qu’a également identifiées Wilfredo Angulo Baudin au cours de ses recherches : « Il y a eu une plus grande diffusion culturelle auprès des citoyens, confirme-t-il. Alléger la charge de la pandémie grâce à la culture, ç’a été un peu comme un remède. Il y a eu une augmentation de l’intérêt pour les produits culturels locaux. »

Néanmoins, même lorsque la pandémie sera chose du passé, il faudra poursuivre les efforts pour rendre la culture plus accessible, selon Mme Bérubé. « Par exemple, le Conservatoire [de musique de Gatineau] s’est aperçu que certains spectateurs ne venaient pas en salle, mais qu’ils affectionnaient les performances en ligne. Aujourd’hui, il considère offrir des concerts hybrides, à la fois en présentiel et en ligne, pour permettre à ces gens de profiter de la musique même s’ils ne se déplacent pas. »

Grâce à l’expérience acquise, il y a fort à parier que le secteur saurait réagir plus rapidement si un événement de force majeure obligeait les salles à fermer. Toutefois, il ne faut pas se leurrer : « Pour le spectacle vivant, les crises sanitaires seront toujours difficiles, puisque ce sont des arts qui sont basés sur la rencontre », rappelle Hervé Guay.

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Source :
Charles Prémont
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Décembre 2021, p. 6-7

© Université du Québec, 2024

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