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Documenter la répression

Affrontements entre manifestants et forces de l'ordre dans les rues de Santiago, au Chili. (Crédit : Getty/Images)

Au cours des cinq derniers mois, le gouvernement conservateur du président Sebastian Pinera, au Chili, a été ébranlé par un soulèvement populaire dont l’ampleur est inédite. Les autorités ont réagi par une répression massive et brutale. Selon différentes missions internationales d’observation, on compte, depuis le 18 octobre 2019, près de 30 morts, plus de 25 000 arrestations et des milliers de cas de détention provisoire. Dans son dernier rapport, l’Institut national des droits humains (INDH) au Chili dit avoir observé plus de 3 600 cas de blessure dans les hôpitaux et les centres de santé ainsi que 842 cas d’usage excessif de la force en détention, 191 cas de violence sexuelle et 45 cas de torture.

Du 18 au 27 janvier derniers, les membres de la Mission québécoise d’observation des violations des droits humains ont séjourné au Chili pour évaluer la situation sur le terrain. Trois Uqamiens en faisaient partie: Ricardo Penafiel, professeur associé et chargé de cours au Département de science politique, Marcos Ancelovici, professeur au Département de sociologie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en sociologie des conflits sociaux, et Isabel Orellana, professeure au Département de didactique et membre du Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté. La mission était aussi composée de représentants des trois grandes centrales syndicales (FTQ, CSN, CSQ), d’organisations de défense des droits de la personne, du monde académique ainsi que de deux députés du Bloc québécois et de Québec solidaire.

«Notre objectif principal consiste à documenter les violations des droits humains survenues ces derniers mois au Chili afin de mettre à jour et de compléter les données recueillies précédemment par quatre missions internationales d’observation, explique Ricardo Penafiel, un spécialiste de l'Amérique latine d'origine chilienne. L’autre objectif est de faire pression sur le gouvernement canadien pour qu’il rompe son silence et exige le respect des droits de la personne par le gouvernement chilien. On peut se demander si cette timidité d’Ottawa a quelque chose à voir avec les importants investissements financiers du Canada au Chili, en particulier dans le secteur minier.»

Un important soulèvement

Des manifestations rassemblant plusieurs milliers de personnes se sont déroulées presque chaque jour, depuis le mois d’octobre, pour protester d’abord contre la hausse du prix du billet de métro, puis contre les augmentations des tarifs d’électricité et des coûts des médicaments, ainsi que contre la réduction des pensions de retraite et les scandales de corruption dans l’armée et la police. «Il s’agit du soulèvement social le plus important depuis la fin de la dictature du général Pinochet au début des années 1990, affirme le chercheur. En novembre dernier, un million et demi de personnes sont descendues dans les rues de Santiago, la capitale.»

«Dès les années 1980, le Chili a servi de laboratoire pour la mise en œuvre de politiques néolibérales, lesquelles ont entraîné la privatisation de la plupart des services gérés et distribués par l’État: eau, santé, éducation, régimes de retraite.»

Ce n’est pas d’hier que la colère gronde. Les inégalités socioéconomiques se sont aggravées au cours des 10 dernières années, faisant du Chili l’un des pays d’Amérique latine où les écarts de richesse sont les plus prononcés. «Dès les années 1980, le Chili a servi de laboratoire pour la mise en œuvre de politiques néolibérales, lesquelles ont entraîné la privatisation de la plupart des services gérés et distribués par l’État: eau, santé, éducation, régimes de retraite», rappelle Ricardo Penafiel  On observe aussi une défiance à l’égard non seulement du gouvernement, mais aussi des partis politiques et de certaines institutions, comme les tribunaux. «Les partis représentés au Parlement obtiennent un taux d’appui de seulement 3 % au sein de la population», note le chercheur.

Ce sont les jeunes, notamment ceux des écoles secondaires des quartiers populaires, qui ont été le fer de lance du mouvement de protestation. «Ils ont fait fi de l’augmentation du prix des tickets de métro et leurs actions d’éclat ont fait tache d’huile, observe Ricardo Penafiel. Ils ont aussi été la cible principale de la répression, comme ce fut le cas en 2006 et en 2011.» Une loi approuvée par le Parlement à la fin de 2018 permet d’expulser des établissements scolaires les élèves impliqués dans des troubles publics. Le gouvernement cherche désormais à autoriser les contrôles d’identité des jeunes à partir de l’âge de 14 ans.

«Il semble que la priorité du gouvernement chilien consiste à criminaliser l’action collective afin d’intimider et de démobiliser la population, en particulier dans les quartiers populaires, dans les communautés migrantes et parmi les Autochtones.»

Entrevues et témoignages

Durant leur séjour, les membres de la mission québécoise ont réalisé 65 heures d'entrevues avec près de 100 personnes rattachées à une cinquantaine d’organisations, dont des syndicats, des organisations de la société civile, des fédérations étudiantes, des centres de recherche universitaires, des associations professionnelles de journalistes et de médecins, des parlementaires et représentants du gouvernement ainsi que l’INDH et le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits humains.

Ils ont recueilli, par ailleurs, plusieurs témoignages de victimes de la répression, dont celui de Matias Yanez, un jeune de 16 ans qui, le 20 janvier dernier, a été détenu et violemment battu par quatre policiers à Valparaiso, ou celui de la mère et du frère de Nicolas Rios Verduhgo, 20 ans, qui, après son arrestation à Santiago le 11 janvier, a été battu et menacé de torture et de viol. Il est toujours en détention préventive.

La mission produira bientôt un rapport détaillé, accompagné de recommandations, qui sera transmis aux gouvernements du Chili, du Canada et du Québec, au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits Humains et aux nombreux groupes qui font la promotion des droits humains au Chili et au Canada. «Nous constatons que, malgré les recommandations des missions internationales d'observation, les violations des droits humains et la répression se poursuivent, souligne le chercheur. Il semble que la priorité du gouvernement chilien consiste à criminaliser l’action collective afin d’intimider et de démobiliser la population, en particulier dans les quartiers populaires, dans les communautés migrantes et parmi les Autochtones.»

De nouveaux appels à la mobilisation ont été lancés pour le début du mois de mars et un référendum concernant la constitution du pays doit être organisé en avril prochain. «Le remplacement de la Constitution actuelle, héritée de la période de dictature d’Augusto Pinochet et accusée de justifier les inégalités dans la société chilienne, figurera sûrement en tête des revendications», conclut Ricardo Penafiel.

Source :
Service des communications
UQAM, 11 février 2020

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