Aller au contenu principal

Guy Rocher, intellectuel et homme d’action

Le sociologue Guy Rocher durant son entretien avec Pierre Duchesne.

L’UQAM rend hommage au sociologue québécois, âgé de 97 ans, à l’occasion du lancement du tome 2 de sa biographie.

Par Claude Gauvreau

Âgé de 97 ans, le sociologue Guy Rocher est le seul membre encore vivant de la célèbre commission Parent, dont les travaux, au début des années 1960, ont donné une impulsion à une série de grandes réformes du système d’éducation. Le professeur émérite de l’Université de Montréal était à l’UQAM, le 8 novembre dernier, à l’occasion du lancement du second volume de sa biographie – Guy Rocher, tome 2 (1963-2021. Le sociologue du Québec –,paru chez Québec Amérique sous la plume de Pierre Duchesne, ancien journaliste, ancien ministre et chargé de cours à la Faculté de science politique et de droit.

Visant à rendre hommage à Guy Rocher, la cérémonie de lancement s’est déroulée en présence de plusieurs personnalités, dont la rectrice de l'UQAM, Magda Fusaro, la doyenne intérimaire de la Faculté de science politique et de droit, Monique Brodeur, le doyen de la Faculté des sciences de l'éducation, Jean Bélanger, les présidentes des conseils de diplômées et diplômés des deux facultés, Nancy Leggett-Bachand (LL.D., 1991) et Yolande Brunelle (B.Ed. enseignement adaptation scolaire, 1986), ainsi que Pierre Duchesne.

Journaliste à Radio-Canada pendant plus de 25 ans et ex-ministre de l'Enseignement supérieur dans le gouvernement du Parti québécois (2012-2014), Pierre Duchesne estime que nous avons un devoir de mémoire envers Guy Rocher, qui a joué un rôle clé dans l’histoire du Québec, notamment durant la Révolution tranquille. «Sociologue dans la cité, Guy Rocher a participé à la définition des institutions québécoises contemporaines et a contribué à chacune des plus cruciales décisions prises par le Québec moderne ainsi qu’aux grands débats qu’elles ont suscités: formation des écoles secondaires publiques, création des cégeps, fondation de l’UQAM, élaboration de la loi 101, promotion de l’indépendance du Québec et défense de la laïcité de l’État.»

Du cours classique à la JEC

Dans le premier tome de la biographie de Guy Rocher – Guy Rocher, tome 1 (1924-1963) Voir - juger - agir –, paru en 2019 chez Québec Amérique, Pierre Duchesne relate l’enfance du sociologue. Orphelin de père dès l’âge de huit ans, le petit Guy Rocher s’imagine que la mort l’arrachera prématurément au monde dans lequel il vit. Veuve à 32 ans, sa mère, sous le choc, confie ses deux jeunes garçons à des religieux. Guy Rocher entreprend des études au collège classique de l’Assomption.

«Ses huit années dans ce collège ont représenté pour Guy Rocher un environnement rassurant et formateur, alors que d’autres jeunes de sa génération considéraient le cours classique trop sévère et austère, note Pierre Dufresne. C’est le même homme qui, plus tard, à titre de membre de la Commission Parent, poussera la réflexion sur la nécessité d’abolir le cours classique, réservé à une élite, afin de démocratiser l’accès au savoir. Cela conduira à la création des polyvalentes et des cégeps.»

Dans les années 1940, Guy Rocher s’engage dans le mouvement de la Jeunesse étudiante catholique (JEC). «À cette époque, l’Église catholique exerçait une mainmise sur l’ensemble de la société et la JEC incarnait son aile progressiste. Avec d’autres jeunes de son âge, Guy Rocher critique de l’intérieur la vision sociale conservatrice de cette institution religieuse.»

Prix et distinctions

Compagnon de l’Ordre du Canada et chevalier de l’Ordre national du Québec, Guy Rocher a reçu au cours de sa longue carrière des doctorats honorifiques de plusieurs universités, notamment de l’UQAM en 2002, et obtenu de nombreux prix, dont ceux-ci:

- Prix Marcel-Vincent, Acfas (1989)

- Médaille Pierre-Chauveau, Société royale du Canada (1991)

- Prix du Québec Léon-Gérin en sciences humaines et sociales (1995)

- Prix Molson, Conseil des arts du Canada (1997)

- Médaille Sir John William Dawson (pour une œuvre interdisciplinaire, Société royale du Canada (1999)

En 2013, le gouvernement du Québec a créé le prix Guy-Rocher, qui récompense la qualité de l’enseignement universitaire. En mai 2021, Guy Rocher a été promu grand officier de l'Ordre national du Québec. Il s'agit de la plus haute distinction de l'Ordre.

Pionnier de la sociologie

Avant de devenir professeur à l’Université de Montréal, Guy Rocher enseigne à l’Université Laval au début des années 1950 et obtient, en 1958, un doctorat en sociologie à la prestigieuse Université Harvard, aux États-Unis. «Le père Georges-Henri Lévesque, fondateur de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval, le prend sous son aile, le soutient financièrement et lui écrit une lettre de recommandation à l’intention du grand sociologue américain Talcott Parsons», raconte Pierre Dufresne.

Auteur de plus de 20 livres et 200 articles, de chapitres d’ouvrages collectifs et d’études, Guy Rocher est un pionnier de la sociologie au Québec. Ses trois volumes d’Introduction à la sociologie générale, publiés dans les années 1960, ont initié à cette discipline des générations d’étudiants. «À la fin de cette décennie, plusieurs professeurs de sociologie dans les cégeps, lesquels venaient d’être créés, ont fait de cet ouvrage une lecture obligatoire pour leurs étudiants», observe Pierre Duchesne. Traduit en six langues et primé par la Fédération canadienne des sciences sociales, Introduction à la sociologie générale est reconnu comme l’un des ouvrages importants de la sociologie contemporaine.

Parmi les autres publications marquantes de Guy Rocher, on compte l’ouvrage synthèse Talcott Parsons et la sociologie américaine (1972), plusieurs essais sur la modernisation du Québec, regroupés dans Le Québec en mutation (1973), ainsi qu’Études de sociologie du droit et de l’éthique (1996).

En 1965, Guy Rocher préside le comité d’étude sur les modalités de création d’une nouvelle université de langue française à Montréal, qui deviendra l’UQAM quatre ans plus tard.

Membre la commission Parent

Au tout début des années 1960, encore jeune professeur, Guy Rocher est invité par Paul Gérin-Lajoie, membre de l’équipe du tonnerre du premier ministre libéral Jean Lesage et futur ministre de l’Éducation, à devenir membre de la commission Parent. Ayant connu Guy Rocher dans les rangs de la JEC, Paul Gérin-Lajoie était à la recherche de personnes qui n’avaient pas d’idées préconçues et souhaitait recruter un sociologue, indique Pierre Duchesne.

«Guy Rocher refuse d’abord l’invitation parce qu’il vient d’obtenir le poste de directeur du Département de sociologie à l’Université de Montréal et, surtout, parce qu’il estime ne rien connaître à l’éducation. Justement, lui dit Paul Gérin-Lajoie, nous voulons quelqu’un avec un regard neuf, qui connaît la société québécoise. Guy Rocher accepte finalement et, grâce à sa participation aux travaux de la commission Parent, développe une expertise qui lui permettra de devenir l’un des premiers sociologues de l’éducation au Québec.»

En 1965, Guy Rocher préside le comité d’étude sur les modalités de création d’une nouvelle université publique de langue française à Montréal, qui deviendra l’UQAM quatre ans plus tard. «Guy Rocher avait développé une réflexion approfondie sur la nécessité de démocratiser le système d’enseignement, d’où l’idée de mettre sur pied une deuxième université dans la métropole, accessible au plus grand nombre et laïque, ayant une mission non seulement d’enseignement, mais aussi de recherche.»

Dans son entretien avec Pierre Duchesne lors de l'événement hommage du 8 novembre, Guy Rocher est revenu sur les débats ayant entouré la naissance de l'UQAM. Il a rappelé, notamment, que les pères Jésuites avaient proposé, dès 1960, de créer à Montréal une deuxième université francophone catholique. «Le comité d'étude que je pilotais sur la mise sur pied de ce nouvel établisement soutenait qu'il fallait plutôt créer une université publique non confessionnelle, une universié complète qui ne se limiterait pas à un enseignement de premier cycle, comme certains le souhaitaient.» 

Promouvoir l’indépendance et le français

Au cours des décennies suivantes, les questions de l’indépendance du Québec, de la langue et de la laïcité forment une sorte de trinôme sur lequel s’appuient la pensée et l’action de Guy Rocher. «Désillusionné par le fédéralisme et le multiculturalisme de Pierre Elliott-Trudeau, le sociologue devient indépendantiste au moment de la crise d’Octobre 70, relate Pierre Duchesne. Ses convictions ne bougeront plus et il fera partie du mouvement des Intellectuels pour la souveraineté à l’occasion du deuxième référendum, en 1995.»

À la fin des années 1970, Guy Rocher œuvre au sein du gouvernement du Parti québécois comme sous-ministre au Développement culturel (1977-1979) et au Développement social (1981-1982). À ce titre, il participe à l’élaboration de la politique linguistique, qui débouchera sur l’adoption de la Charte de la langue française (loi 101), en 1977, de la politique culturelle (Livre blanc en 1978) et de la politique en matière de recherche scientifique du Québec (Livre vert en 1979, suivi du Livre blanc en 1980).

«Dans l’élaboration de la loi 101, Guy Rocher a proposé un concept pour définir qui doit obligatoirement fréquenter l’école française, souligne Pierre Duchesne. Il a eu cette idée du critère de fréquentation scolaire des parents. Si les anglophones ont fréquenté l’école en anglais, leurs enfants pourront faire de même, ce qui ne sera pas le cas des francophones et des nouveaux arrivants. Ce fut une mesure clé pour favoriser l’application de la loi 101.»

Engagement social

À la retraite depuis 2010, le professeur émérite de l’Université de Montréal appuie publiquement le mouvement étudiant en lutte contre l’augmentation des frais de scolarité lors du printemps 2012. «En s’engageant aux côtés des étudiants, Guy Rocher a voulu rester fidèle au programme de la Commission Parent qui considérait l'éducation comme un droit, et non comme un privilège, et qui défendait la gratuité scolaire, une mesure favorisant la démocratisation du savoir.»

Deux ans plus tard, en 2014, le sociologue se prononce en faveur du controversé projet de Charte des valeurs québécoises, estimant que l’État doit proclamer sa neutralité à l’égard des religions, Pour lui, c’est en continuité directe avec le demi-siècle de déconfessionnalisation de l’État québécois que nous avons vécu. «Alors que certains voient dans le projet de charte des mesures discriminatoires, Guy Rocher s’inscrit dans une cohérence historique par rapport au rôle de l’État.»

Des individus comme Guy Rocher se font de plus en plus rares, dit Pierre Duchesne. «À la fois intellectuel et homme d’action, il est un généraliste, un pédagogue capable d’expliquer simplement la société dans laquelle on vit.» Alors que nous vivons une époque marquée par le règne de l'opinion et de la confrontation, Guy Rocher plaide pour la délibération publique. «Tout au long de sa carrière, il a été à l’écoute, a cherché à partager ses connaissances et a tenté de rallier», rappelle son biographe.

Comment le sociologue perçoit-il le Québec d’aujourd’hui? «Même s’il est inquiet de certains périls qui menacent le Québec actuel, comme celui de la crise environnementale, Guy Rocher demeure un homme combatif qui ne cède pas au désenchantement», conclut Pierre Duchesne.

On l’a d’ailleurs vu, en septembre dernier, se prononcer en faveur de l’application de la loi 101 aux cégeps dans le cadre de la consultation sur le projet de loi 96. Même à 97 ans, Guy Rocher continue à participer à la vie de la cité et garde toute sa fougue intellectuelle.

En conclusion de la soirée hommage tenue en son honneur, le sociologue a souligné l'importance de défendre la liberté académique. «En tant que professeur, j'ai toujours bénéficié d'une grande liberté. J'ai eu la liberté d'enseigner ce que je voulais et d'agir dans la cité.»

Source :
Service des communications
UQAM, 9 novembre 2021

Toutes les actualités de l'Université du Québec à Montréal >>>

© Université du Québec, 2024