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L’arbre qui cache la forêt… de solutions

L’une des clés de la lutte contre les changements climatiques résiderait-elle dans les liens unissant les arbres à leur habitat naturel ? Deux chercheurs en font la démonstration.

Sylviculture tactique

On associe plus souvent la science des réseaux complexes à l’informatique qu’à la foresterie. Pourtant, les forêts sont des systèmes qui, loin d’être simples, sont régis par des processus écologiques aussi hasardeux qu’incertains. En effet, cette théorie ouvre la voie à de meilleurs aménagements forestiers, car elle est plus globale que les approches sylvicoles actuelles basées sur l’ordre et la prédictibilité, lesquelles tendent à perdre de leur efficacité avec les changements climatiques.

« Les forêts les mieux connectées entre elles sont celles où la biodiversité — un facteur de résilience et de productivité — est la plus élevée. Nous nous rendons compte qu’un peuplement doté de plusieurs espèces aux traits multiples favorise la bonne santé des forêts environnantes par une plus grande connectivité ; il agit comme source centrale de graines pour les peuplements voisins qui subissent des perturbations, par exemple des maladies exotiques », illustre Élise Filotas, professeure au Département Science et Technologie de l’Université TÉLUQ.

Intervenir auprès de peuplements spécifiques aurait donc comme effet de bénéficier à l’ensemble d’un territoire. Afin de valider cette hypothèse, Élise Filotas et ses collaborateurs mènent des projets de modélisation numérique sur un site expérimental de 300 000 hectares de forêt tempérée et fragmentée qui se trouve dans les Bois-Francs.

« Nous y simulons différents scénarios de perturbations climatiques, aussi bien optimistes que pessimistes, puis nous en évaluons les conséquences, indique-t-elle. Nous espérons tirer de ces travaux des recommandations très ciblées d’aménagements sylvicoles du territoire, de manière à rendre celui-ci moins sensible aux effets des changements climatiques. »

Plus que de simples haies

Les vastes champs qui s’étendent à perte de vue pourraient un jour être de l’histoire ancienne. C’est du moins ce que laissent croire les travaux menés par David Rivest, professeur en écologie des sols et en agroforesterie à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Cet expert étudie les systèmes agroforestiers intercalaires (SAI), des rangées d’arbres espacées les unes des autres, de manière à permettre la culture de végétaux dans les allées ainsi créées. L’un des avantages des SAI ? Ils pourraient modérer les effets négatifs des extrêmes climatiques sur les cultures.

Depuis une décennie, David Rivest s’intéresse de près aux SAI de deuxième génération, mieux adaptés à la réalité des grandes cultures agricoles ; ainsi, les rangées d’arbres y sont plus espacées (de 25 à 40 m) que dans les SAI dits de première génération (de 8 à 15 m). « Il ne faut pas complexifier les opérations de l’agriculteur ; un producteur de maïs doit par exemple être en mesure de circuler avec sa rampe de pulvérisation. Il y a aussi des questions de compétition entre les arbres et les cultures pour les ressources », explique-t-il.

À Baie-du-Febvre, les propriétaires de la Ferme Bertco hébergent depuis 2012 un SAI de deuxième génération. Ces producteurs laitiers cultivent notamment du maïs, du soya et de la luzerne. Dans ce laboratoire agricole, David Rivest compare les performances de six espèces de feuillus, plantés à 5 m les uns des autres sur le rang. L’enjeu est de taille : l’ajout de rangées d’arbres sur la parcelle à l’étude entraîne une perte d’espace cultivable d’environ 3 %. De quoi ronger des marges de profit déjà très minces… Pourtant, les arbres n’affectent pas la productivité des cultures.

David Rivest a tiré différentes mesures de ses travaux, comme les rendements en grains, et elles se révèlent semblables à celles d’une parcelle agricole témoin de la même ferme à l’an 4 du projet. Ces résultats sont comparables à ceux qui ont été observés sur cinq autres sites expérimentaux au Québec. L’été 2020 a par ailleurs été un bon test pour les SAI : « Ils ont atténué les effets négatifs de la sécheresse qui a frappé la province en juin sur les cultures fourragères en permettant une meilleure rétention d’eau dans les sols », signale le professeur.

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Source :
Maxime Bilodeau
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Décembre 2020, p. 10

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