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Lorsque l’art numérique inspire le réel

Fasciné par l’animation 3D et par l’artiste hors norme Florent Veilleux, Obed José a réuni les deux univers pour faire du neuf avec du vieux.

Florent Veilleux est ce que l’on peut appeler une drôle de bibitte. Cet artiste — qui a exposé à différents endroits dans le monde — est le roi québécois de la pataphysique, ou la science des solutions imaginaires aux problèmes inexistants, comme l’a défini le poète français Alfred Jarry. Une posture pour le moins audacieuse dans le monde hyper fonctionnaliste qui nous entoure.

Tout au long de sa vie, Florent Veilleux s’est attardé aux objets dont se débarrassent les gens, agissant comme un commissaire des déchets. Il les a choisis, nettoyés et conservés précieusement en une grande collection pendant 40 ans dans le sous-sol de son petit royaume de l’avenue Papineau, à Montréal. Grâce à son processus d’addition d’objets, il crée des sculptures qui, au moyen d’un simple bouton, s’illuminent et s’animent, comme de petits écosystèmes.

« Enfant, je l’avais vu à la télé avec ses sculptures, et il me fascinait déjà, raconte Obed José, un artiste diplômé du baccalauréat en création 3D à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Des années plus tard, alors que j’habitais près de son atelier de l’avenue Papineau, je passais souvent devant sa vitrine et, un jour, j’ai osé frapper à sa porte. Il m’a fait découvrir son univers. »

Au cours de son baccalauréat, Obed José a parlé de cette rencontre marquante à Patrick Gauvin, professeur en création et nouveaux médias. C’est là que son projet de fin d’études a pris naissance : provoquer une rencontre entre sa propre création numérique, le robot BaByBoT R — dont la mission était de détruire la nature, mais qui se retrouve finalement à la protéger —, et l’univers de Florent Veilleux. Il souhaitait recréer le robot dans le monde réel, à partir de la mine d’or de l’artiste.

La caverne d’Ali Baba

La verve de Patrick Gauvin a su convaincre Florent Veilleux du sérieux de la folle démarche d’Obed José. Résultat : l’artiste a accepté de laisser les deux hommes entrer dans sa caverne d’Ali Baba. « Si voir toutes ses machines allumées au rez-de-chaussée de son atelier, c’est comme Noël, voir tous les objets récupérés depuis 40 ans dans son sous-sol, c’est le chaos, affirme le professeur. Et le chaos, pour des artistes, c’est le paradis ! C’est un monde de possibilités. »

Tuyaux d’égout, caméra de surveillance, cruche d’eau, petit trépied : voilà quelques-uns des objets qui ont inspiré Obed José dans la création de son robot.

« Normalement, les créateurs 3D s’inspirent de photos du réel, souvent d’archétypes, pour créer des univers et des personnages numériques, souligne le professeur Gauvin. Mais ici, Obed a fait le contraire. Pour recréer dans le réel un robot qui existe dans le monde numérique, il a utilisé des objets ayant une densité, une existence réelle, une mémoire, et il leur a donné une deuxième vie, avec la complicité de Florent Veilleux. »

Alors que la pandémie a frappé durement le milieu artistique, plusieurs personnes ont réalisé pendant le confinement à quel point l’art leur manquait. « Le musicien Brian Eno a dit à la COP26 que les artistes ont comme rôle de proposer des mondes différents, rappelle Patrick Gauvin. Florent Veilleux l’a toujours fait. Chacune de ses machines est un monde en soi. »

D’ailleurs, tout un mur du Centre des sciences de Montréal met en valeur des oeuvres de Veilleux. On y trouve notamment le premier convertisseur d’électricité en eau du monde : une création qui sonne l’alarme sur la consommation effrénée d’or bleu sur la planète. « Florent Veilleux est vraiment un artiste extraordinaire qui a été oublié, croit Patrick Gauvin. Pourtant, ses machines pourraient faire œuvre utile actuellement. Je souhaite que son univers puisse trouver sa place dans la mémoire collective. »

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Source :
Martine Letarte
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Avril-mai 2022, p. 13

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