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Pour ne plus laisser personne derrière

La crise sanitaire a exacerbé les inégalités sociales. Aujourd’hui, les chercheurs retroussent leurs manches pour que certains groupes ne demeurent plus dans les angles morts de la société.

Tendre la main à la jeunesse vulnérable

Certains sont placés sous la protection de la jeunesse. D’autres vivent dans la rue. D’autres encore ont des problèmes de consommation de drogue ou sont sous-scolarisés. Dans tous les cas, ces adolescents sont vulnérables. Et au cours des derniers mois, nombre d’entre eux ont demandé de l’aide... mais peu ont reçu le coup de main attendu. Qui plus est, près de la moitié de ceux qui se sont retrouvés dans cette situation étaient déjà dans un état fragile : ils avaient connu un problème de santé mentale l’année précédente. Voilà l’un des tristes constats tirés des travaux de Martin Goyette, professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP), qui préside un groupe d’experts mandaté par le gouvernement du Québec pour étudier comment ces jeunes ont été soutenus durant la crise sanitaire.

Au plus creux de cette dernière, plusieurs ados vulnérables ont ainsi fait face à un immense vide. « Les services sociaux institutionnels et de la jeunesse ont été délestés pour envoyer des intervenants sur la ligne de front [dans les hôpitaux] », regrette le chercheur, qui dirige aussi la Chaire de recherche sur l’évaluation des actions publiques à l’égard des jeunes et des populations vulnérables (CREVAJ) et le volet Santé et Bien-être de la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec (CRJ). Les confinements à répétition ont isolé davantage ces adolescents — « même s’ils nous disent être isolés tout le temps », expose-t-il — et compliqué leurs conditions de vie. Par exemple, il leur était impossible d’accéder aux restaurants et aux boutiques, où plusieurs occupent de petits boulots.

Selon Martin Goyette, il y a du chemin à faire pour aider cette population. Bien sûr, il importe de revoir l’accessibilité aux services, tout comme les pratiques d’intervention, et d’assurer un lien au moment du passage à l’âge adulte. « Il faut faire en sorte qu’il n’y ait pas de bris de service à l’âge de 18 ans. Souvent, les jeunes Autochtones, ceux issus de communautés culturelles et ceux qui quittent les centres jeunesse ont déjà vécu un cumul de ruptures. Ils ont des besoins particuliers », observe-t-il.

Or, comment mieux les protéger lorsque l’ensemble du système sociosanitaire et de l’éducation est hyper saturé ? Le chercheur mise sur l’aide offerte par d’autres jeunes ayant eu un parcours similaire. « Lorsqu’une personne a connu des difficultés et qu’elle s’en est sortie, elle a du recul et est en mesure d’offrir du soutien à ceux qui sont dans la même situation. Il faut que les jeunes deviennent des acteurs de l’intervention sociale », estime-t-il.

Réseau volant : du numérique pour tous

Depuis près de deux ans, nos vies

se déroulent largement en ligne : télétravail, télémédecine, congrès virtuels, apéros Zoom… Pour beaucoup de gens, il suffit de quelques clics pour accéder à Internet. Cependant, pour les communautés isolées, on parle d’un parcours du combattant. Georges Kaddoum, professeur-chercheur au Département de génie électrique de l’École de technologie supérieure (ÉTS), souhaite connecter ces déserts numériques en s’appuyant sur des drones-antennes équipés de technologies avancées de télécommunications appelés Flying Ad-Hoc Networks (FANET).

Ces engins à hélices, qui ont la taille d’une table de salle à manger et pèsent quelques dizaines de kilogrammes, se déploieraient dans le ciel afin de relayer l’information numérique jusqu’à des endroits difficilement accessibles. « L’idée, c’est de créer une troisième dimension : une station volante où l’utilisateur pourra se connecter », illustre Georges Kaddoum. Les connexions seraient plus rapides puisque le drone volerait seulement à quelques milliers de kilomètres au-dessus de la Terre ; le message parcourrait donc une distance moindre que vers un satellite.

Combien de drones seraient-ils nécessaires pour un village éloigné ?

« Globalement, on pourrait en connecter quelques dizaines à une centaine de personnes, en fonction de leurs besoins, de la technologie et des fréquences utilisées », envisage le chercheur.

Chose certaine, il y a des leçons à tirer de la pandémie, de l’avis de Georges Kaddoum : « C’est grâce aux réseaux de télécommunications si notre économie a continué de fonctionner. C’est le temps d’investir et d’être proactif, car on ne sait pas quand la prochaine crise frappera. Ces technologies vont retailler notre futur ; les pays qui auront les meilleures télécommunications gagneront la bataille économique de demain. »

Pas de pause pour la douleur chronique

La crise sanitaire a exacerbé les tourments des personnes qui sont aux prises avec la douleur chronique, dont souffre un Québécois sur cinq. C’est ce qu’a mis en relief une étude publiée dans PAIN Reports et menée par Anaïs Lacasse, professeure en sciences de la santé à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Presque 40 % des malades médicamentés ont rapporté des changements dans leurs traitements, puisque les perturbations des soins et des services de santé ont réduit l’accès au soutien et aux thérapies, essentiels pour maintenir leur qualité de vie.

Considérée à tort comme un symptôme, la douleur chronique est une maladie réelle qui dure plus de trois mois. « Elle est basée sur la durée, mais elle englobe plein de maux, explique Mme Lacasse. Les plus communs sont la lombalgie, l’arthrite, la fibromyalgie et les douleurs abdominales chroniques. »

Ses travaux montrent que plusieurs patients ont augmenté leur consommation d’opioïdes, de cannabis et d’alcool depuis le début de la pandémie. « Ces malades ont pris les moyens du bord pour soulager leurs douleurs, analyse la professeure. Il faut que les professionnels de la santé soient à l’affût des conséquences. »

Or, comment faire lorsque les ressources sont difficilement accessibles, comme ce fut le cas pendant les confinements — et même encore aujourd’hui, alors que les listes d’attente ne cessent de s’allonger ? Anaïs Lacasse fonde des espoirs sur l’autogestion en ligne, c’est-à-dire des programmes virtuels interactifs qui permettent aux patients de se fixer des objectifs et de participer à des ateliers, selon leurs besoins et leurs moyens. « C’est important de combiner les approches physiques et psychologiques, mais cela nécessite pour chaque patient de s’impliquer activement dans la gestion de sa maladie », nuance-t-elle. Les groupes d’entraide en ligne mis en place pendant la crise ont, quant à eux, déjà brisé les barrières en offrant aux patients des régions éloignées ou à ceux qui sont trop souffrants un meilleur accès à des rencontres en personne.

« La pandémie a offert des solutions inattendues. Elles devraient rester », espère Anaïs Lacasse. Plusieurs personnes risquent d’en avoir besoin : d’un côté, les patients dont les conditions dépérissent alors que la pandémie s’éternise ; de l’autre, tous les rescapés de la COVID-19 qui doivent composer… avec la douleur chronique. D’où l’urgence de mieux soutenir ces malades en allégeant leur fardeau pour lequel, malheureusement, il n’existe pas de pilule miracle.

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Source :
Fanny Rohrbacher
La recherche dans le réseau
de l'Université du Québec
Québec Science
Décembre 2021, p. 12-13

© Université du Québec, 2024

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